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Image  Par Tiphaine DÉPINOIX, Master 2 Droit du patrimoine professionnel, DSN

Participation aux acquêts : prise en compte des droits indivis acquis en cours de régime pour le calcul de la créance de participation

Civil - Personnes et famille/patrimoine
12/09/2016
Rédigé sous la direction d’Anne KARM, professeur - Université Paris-Dauphine
En partenariat avec le Master 2 Droit du patrimoine professionnel (223), Université Paris-Dauphine

En se prononçant sur la composition du patrimoine originaire et du patrimoine final du régime de la participation aux acquêts, la Cour de cassation dans son arrêt du 31 mars 2016 (Cass. 1re civ., 31 mars 2016, n° 14-24.556) tient compte des droits indivis acquis en cours de régime pour le calcul de la créance de participation. Le conjoint participe alors à l’enrichissement de l’époux créé par cette acquisition, conformément à l’esprit communautaire de ce régime.
Introduit au rang de régime conventionnel français à la faveur de la loi n° 66-570 du 13 juillet 1965, le régime de la participation aux acquêts combine les règles de la séparation de biens au cours de l’union et celles de la communauté légale à sa dissolution. Pour autant, il ne s’opère pas de métamorphose du régime matrimonial, passant d’un régime à l’autre (voir Morin G. et Morin M., La réforme des régimes matrimoniaux, Répertoire du notariat Defrénois, T.II. 2e éd., 1974, n° 497).

Selon un principe participatif proche de celui régnant en régime communautaire, chacun des époux a finalement vocation à recueillir en valeur la moitié de l’enrichissement de son conjoint, lequel résulte de la différence entre le patrimoine final et le patrimoine originaire de celui-ci. Toutefois, ce régime ne rencontre que peu de succès en pratique, du fait d’une prétendue complexité de ses règles liquidatives. En réalité, ces règles ne sont pas plus complexes que celles qui président à la liquidation des récompenses en régime légal ; encore ne faut-il pas perdre de vue les principes régissant la composition des patrimoines. En témoigne l’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation rendu le 31 mars 2016 (Cass. 1re civ., 31 mars 2016, n° 14-24.556).


Rappel des faits


Suite du prononcé de leur divorce en 2006, les époux ont rencontré des difficultés pour la liquidation et le partage de leurs intérêts patrimoniaux. L’un des points de discorde concernait un bien immobilier dont l’épouse avait recueilli, pendant le mariage, le quart indivis dans la succession de son père. Au cours de l’union, elle en acquit les trois quarts restants. Le bien finit par être cédé en 2010. Les premiers juges, suivis par la cour d’appel de Rennes dans son arrêt rendu le 27 mai 2014 (CA Rennes, 27 mai 2014, n° RG : 02/08631), ont fait inscrire au patrimoine originaire de l’épouse la somme correspondant à la totalité du prix de vente de l’immeuble, et ont rejeté la demande de l’époux tendant à voir fixer cette même somme au patrimoine final de l’épouse. L’époux a alors formé un pourvoi.

À titre principal, la Cour de cassation était ainsi invitée à se prononcer sur le point de savoir si, en régime de participation aux acquêts, la portion acquise en cours de régime d’un bien indivis d’origine successorale doit figurer au patrimoine originaire ou au patrimoine final de l’époux acquéreur, et ce, en vue de la liquidation de la créance de participation [accessoirement, le pourvoi invitait également la Cour de cassation à se prononcer sur la question de la revalorisation des créances entre époux, sous un angle exclusivement procédural : en vertu de l'article 4 du Code civil, les juges ne peuvent se dessaisir et déléguer leurs pouvoirs au notaire liquidateur pour trancher une difficulté se rapportant à cette question (Cass. 1re civ., 2 avr. 1996, n° 94-14.310, Bull. civ. 1996, I, n° 162). Quant au fond, la revalorisation des créances entre époux n'est pas prévue en régime de participation aux acquêts, contrairement à la solution retenue, depuis 1985, pour les époux séparés de biens ou communs en biens (C. civ., art. 1543 et 1479, lequel renvoie à l'alinéa 3 de l'article 1469)].

À cette question, la Cour de cassation répond en deux temps : d’une part, au visa des articles 1570 et 1578 du Code civil, elle considère que « les trois quarts indivis dont Mme X... avait fait l’acquisition pendant le mariage ne constituaient pas des biens propres par nature et n’avaient pas été obtenus par succession ou libéralité » ; d’autre part, au visa des articles 1572 et 1574 du Code civil, elle énonce que « font partie du patrimoine final tous les biens qui appartiennent à l’époux au jour où le régime matrimonial est dissout [dissous], estimés d’après leur état à l’époque de la dissolution du régime matrimonial et d’après leur valeur au jour de la liquidation de celui-ci ». En somme, la Cour de cassation s'est successivement prononcée sur la composition du patrimoine originaire, puis sur la composition et l'évaluation des biens inscrits au patrimoine final, laissant néanmoins dans l'ombre la question du financement de l'opération litigieuse.
 

     > Cet article fait partie du dossier spécial Patrimoine 2016


 
Composition du patrimoine originaire


Elle est régie par l’article 1570 du Code civil, selon lequel « le patrimoine originaire comprend les biens qui appartenaient à l'époux au jour du mariage et ceux qu'il a acquis depuis par succession ou libéralité, ainsi que tous les biens qui, dans le régime de la communauté légale, forment des propres par nature sans donner lieu à récompense ». Dans ce contexte, la question se pose de savoir si l’article 1408 du Code civil, issu du régime de communauté légale, a vocation à connaître une application extensive en régime de participation aux acquêts. Pour mémoire, cet article  dispose que « l'acquisition faite, à titre de licitation ou autrement, de portion d'un bien dont l'un des époux était propriétaire par indivis, ne forme point un acquêt, sauf la récompense due à la communauté pour la somme qu'elle a pu fournir ». Cette exclusion de la qualification d’acquêt, de caractère impératif, tend à éviter qu’une nouvelle indivision ne se crée entre le conjoint indivisaire et la communauté (lorsque celle-ci participe au financement des droits indivis) se superposant le cas échéant à la première (si, du moins, la première perdure, ce qui est le cas lorsque la totalité des droits n’est pas rachetée). Toutefois, cette solution s’opère sous réserve d’une récompense à la communauté dès lors que cette dernière participe au financement du bien. Cela permet de rétablir en valeur les patrimoines au temps de la liquidation du régime.

En l’espèce, se fondant sur une application extensive de l’article 1408 du Code civil, la cour d’appel intègre le bien immobilier dans sa totalité au patrimoine originaire de l’épouse aux motifs que l’acquisition d’un bien dont un époux était propriétaire indivis ne constitue pas un acquêt, de sorte que cette acquisition ne peut engendrer aucune créance de participation au profit de l’autre époux et que, dès lors, c’est l’intégralité des droits indivis dont l’époux est titulaire sur le bien qui doit être portée à son patrimoine originaire.

Pourtant, à la lumière de l’article 1570 du Code civil précité, il apparaît que les trois quarts du bien indivis acquis en cours d’union ne sont ni des biens présents, ni des biens futurs, ni même des propres par nature. L’épouse n’ayant reçu qu’un quart par succession, le bien doit alors être inscrit pour ce quart uniquement à son actif originaire et non pour la totalité, sauf l’hypothèse où l’opération aurait été financée par des deniers originaires (par le jeu de la subrogation, le bien aurait alors été inscrit à l’actif originaire pour la totalité).

Dès lors, en inscrivant la valeur de la totalité du bien à l’actif originaire, la cour d’appel commet ici une première erreur : elle minore les acquêts de l’épouse au détriment de son mari. La portion d’un bien indivis acquise au cours de l’union constitue un acquêt et ne doit pas échapper au calcul de la créance de participation : celle-ci résulte de la différence arithmétique entre patrimoine final et patrimoine originaire ; elle est égale à la moitié de la différence entre les acquêts nets de chacun. En d’autres termes, il n’y a pas toujours absolue coïncidence des acquêts en régime légal et en régime de participation aux acquêts. Pratiquement, il appartiendra alors à la cour de renvoi d’inscrire le quart seulement de la valeur du bien litigieux à l’actif originaire de l’épouse.
 

Composition et de l’évaluation des biens inscrits au patrimoine final


Il importe de faire une exacte application des articles 1572 et 1574 du Code civil : selon ces textes, le patrimoine final est notamment composé de « tous les biens qui appartiennent à l’époux au jour où le régime matrimonial est dissous », lesquels sont « estimés d’après leur état à l’époque de la dissolution du régime matrimonial et d’après leur valeur au jour de la liquidation de celui-ci ».

Or, il ressort du troisième moyen de cassation annexé à l’arrêt que le rachat des droits indivis est intervenu la veille de la dissolution du régime, et qu’il a été financé par un emprunt souscrit à la même époque et non encore remboursé au jour de la dissolution. Par ailleurs, il résulte du dispositif de l’arrêt que le bien a été finalement aliéné par l’épouse en 2010, soit après la dissolution du régime, au prix de 180 000 €. À la lumière de ces éléments de fait, il apparaît que l’épouse était encore propriétaire du bien litigieux au jour de la dissolution du régime. En refusant d'inscrire à l'actif final la valeur du bien pour son prix d'aliénation, la cour d'appel commet une seconde erreur en minorant à nouveau les acquêts de l'épouse.
 

Financement de l'opération litigieuse


Ici, quelques précisions s'imposent, malgré le silence de l'arrêt. Lorsque l’opération a été financée par un emprunt, le solde doit être inscrit au passif final (C. civ., art. 1574). Deux cas seront ici envisagés, avec pour hypothèse un crédit de 100 000 € et aucun patrimoine pour l’époux.
 

Exemple n° 1


Dans le premier cas, l'emprunt n'a pas du tout été remboursé en cours de régime, comme en l’espèce. En régime légal, le bien est propre à l’épouse pour le tout (C. civ., art. 1408), soit une valeur de 180 000 € après aliénation, sauf récompense due à la communauté revalorisée au profit subsistant (C. civ., art. 1469, al. 3). Puisque l'emprunt a permis de financer la totalité des trois quarts des droits indivis rachetés la récompense s’élève à 135 000 € et doit être portée à l’actif de communauté ; déduction faite du montant de l’emprunt, le boni de communauté s’élève à 35 000 €, soit 17 500 € pour chacun des époux. En régime de participation aux acquêts, le quart de la valeur du bien est inscrit à l'actif originaire, soit 45 000 €, et la totalité à l’actif final, soit 180 000 €, tandis que l’emprunt est inscrit au passif final. Au total, les acquêts nets de l’épouse s’élèvent à 35 000 €, soit une créance de participation de l’époux vis-à-vis de son épouse de 17 500 €. Les solutions sont donc équivalentes dans les deux régimes.
 

Exemple n° 2


Dans le second cas, au contraire, on suppose que l’emprunt a été partiellement remboursé en cours de régime, par exemple à hauteur des 4/10e, soit un solde restant dû au jour de la dissolution de 60 000 €. En régime légal, la communauté ne peut prétendre qu’à une récompense égale au profit subsistant, lequel se détermine d'après l’exacte proportion dans laquelle les fonds empruntés à la communauté ont contribué au financement de l’acquisition du bien propre. La récompense due par l’épouse est alors de 54 000 € (4/10x3/4x180 000). Chacun des époux peut prétendre à la moitié du boni de communauté, soit 27 000 €, tandis que l’épouse fait sien le prix de vente du propre, soit 180 000 €, déduction faite du solde du prêt, soit 60 000 € ; au total, 27 000 € reviennent à l’époux et 93 000 € à l’épouse. En régime de participation, le bien est inscrit pour le quart à l’actif originaire, soit 45 000 €, la totalité à l’actif final, soit 180 000 €, et le solde de l’emprunt au passif final, soit 60 000 €. Les acquêts nets de l’épouse sont alors de 75 000 € (180 000-60 000-45 000).
La créance de participation de l’époux vis-à-vis de son épouse est de 37 500 €, tandis que 82 500 € reviennent à l’épouse (180 000-60 000-37 500). Pour l’époux, le bénéfice de la créance de participation sera alors plus avantageux que celui de la moitié de la récompense due à la communauté ; une telle différence semble tenir au fait qu’en régime de participation aux acquêts, les deniers-acquêts ayant permis de rembourser les 4/10e de l’emprunt ne sont pas revalorisés au passif final, tandis qu’en régime légal, la contribution de la communauté au remboursement de l’emprunt à hauteur des 4/10e est revalorisée au profit subsistant.
 
Au total, l’argument tenant à la complexité avancée des règles liquidatives de la participation aux acquêts n’est donc pas toujours justifié dès lors que les principes de composition des patrimoines sont appliqués strictement. Il en ressort qu’il s’agit bien là d’une communauté en valeur, laquelle se veut parfois plus communautaire que le régime légal lui-même. Aux époux qui souhaitent un régime communautaire mêlant simplicité dans son fonctionnement et lors de sa liquidation, le régime de la participation aux acquêts est à conseiller.
Source : Actualités du droit