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Poursuite des majeurs protégés et création d’un répertoire unique et centralisé

Pénal - Procédure pénale
Civil - Personnes et famille/patrimoine
11/10/2019
Faisant le point sur les suggestions de réformes déjà formulées et proposant de nouvelles mesures, la Cour de cassation se prononce, dans son rapport annuel 2018, en faveur de la création d’un répertoire unique et centralisé des personnes majeures protégées.

Le droit positif


CEDH, 30 janv. 2001, req. n° 35683/97, Vaudelle c. France : la Cour européenne des droits de l’homme condamne la France pour avoir fourni une protection insuffisante à un prévenu en curatelle. Elle affirmait que des garanties de procédure devaient être imposées « pour protéger ceux qui en raison de leurs troubles mentaux ne sont pas entièrement capables d’agir pour leur propre compte ».

Article 706-113 du Code de procédure pénale : créé par la loi du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs (art. 36, L. n° 2007-308, 5 mars 2007, JO 7 mars), ce texte prévoit que chaque fois qu’il est établi qu’un majeur bénéficie d’une protection, le curateur ou le tuteur doit être informé, par le procureur de la République ou le juge d’instruction, des poursuites engagées à son encontre ainsi que de l’ensemble des décisions à intervenir. Le tuteur ou le curateur doit également être avisé de la date d’audience. Il peut faire désigner un avocat à la personne protégée, qui doit être assistée d’un conseil, et prendre connaissance de la procédure dans les mêmes conditions que celui-ci.
Conformément aux dispositions de l’article 706-115 du Code de procédure pénale, une expertise médicale est impérative aux fins d’évaluer le degré de responsabilité de la personne protégée… sous réserve des dispositions des articles D. 47-22 et D. 47-23 du Code de procédure pénale qui la rendent… facultative.

La jurisprudence nationale : La Chambre criminelle de la Cour de cassation a invalidé des procédures dans lesquelles une personne protégée avait été condamnée alors que le tuteur ou le curateur n’avait pas été avisé des poursuites. Et, ce, que la mesure de protection ait été connue (Cass. crim., 12 juill. 2016, n° 16-82.714, Bull. crim., n° 212 ; Cass. crim., 19 déc. 2017, n° 17-85.841) et lorsque la ou inconnue de la juridiction (Cass. crim., 14 oct. 2014, n° 13-82.584 ; Cass. crim., 10 janv. 2017, n° 15-84.469, Bull. crim., n° 10 ; Cass. crim., 9 janv. 2019, n° 17-86.922).
La Chambre criminelle s’assure également les autorités de poursuite aient pris les mesures nécessaires, en cas de doute, pour vérifier l’existence de la mesure de protection : invalidation de procédures dans lesquelles le tuteur ou le curateur d’une personne protégée n’avaient pas été avisés, alors même que n’avait pas été « caractérisée une circonstance insurmontable faisant obstacle à cette vérification » (Cass. crim., 19 sept. 2017, n°  17-81.919, Bull. crim., n° 222) ; validation de procédure dans laquelle cette vérification s’était effectivement avérée impossible (Cass. crim., 11 déc. 2018, n° 18-80.872, Bull. crim., n° 210).

Censure constitutionnelle de l’absence d’obligation légale d’aviser le tuteur ou le curateur d’un majeur protégé de son placement en garde-à-vue : le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à l’article 706-113 du Code de procédure pénale, a déclaré le premier alinéa de cet article inconstitutionnel – avec effet différé au 1er octobre 2019 : « en ne prévoyant pas, lorsque les éléments recueillis au cours de la garde à vue d’une personne font apparaître qu’elle fait l’objet d’une mesure de protection juridique, que l’officier de police judiciaire ou l’autorité judiciaire sous le contrôle de laquelle se déroule la garde-à-vue soit, en principe, tenu d’avertir son curateur ou son tuteur afin de lui permettre d’être assistée dans l’exercice de ses droits, les dispositions contestées méconnaissent les droits de la défense » (Cons. const., 14 sept. 2018, n° 2018-730 QPC, JO 15 sept.).
Depuis le 1er juin 2019, l’article 706-112-1 du Code de procédure pénale, créé par la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice (art. 48, L. n° 2019-222, 23 mars 2019, JO 24 mars), prévoit que « lorsque les éléments recueillis au cours de la garde-à-vue d'une personne font apparaître que celle-ci fait l'objet d'une mesure de protection juridique, l'officier ou l'agent de police judiciaire en avise le curateur ou le tuteur. S'il est établi que la personne bénéficie d'une mesure de sauvegarde de justice, l'officier ou l'agent de police judiciaire avise s'il y a lieu le mandataire spécial désigné par le juge des tutelles ».
 
 

La problématique


La jurisprudence a mis en évidence la difficulté de mettre effectivement en œuvre les exigences découlant des articles 706-113 et D. 47-14 du Code de procédure pénale.
La connaissance d’une mesure de protection n’est pas aisée dans la mesure où il n’existe pas de répertoire dématérialisé centralisé de ces mesures.
Certes le procureur de la République du domicile de la personne protégée est avisé de la mesure par la consultation du répertoire civil du lieu de naissance, mais il est illusoire de penser qu’à l’occasion de chaque enquête, il pourrait être sollicité un extrait intégral d’acte de naissance.
Or, ces garanties procédurales sont indispensables pour assurer la défense de la personne majeure protégée, qui n’est pas toujours en état de le faire en raison, précisément, de l’altération de ses facultés personnelles.
 

La solution


À l’instar de ce qui a été proposé dans le Rapport de mission interministérielle sur l’évolution de la protection juridique des personnes (Caron Déglise A., 21 sept. 2018, Reconnaître, soutenir et protéger les personnes les plus vulnérables, prop. n° 40), il est proposé la création d’un répertoire unique des personnes majeures protégées, national, dématérialisé et centralisé.
Son intérêt serait « évident » dans les procédures pénales, à la fois pour les autorités judiciaires, pour les personnes protégées suspectées, mais aussi, plus largement, pour les victimes qui ont également besoin d’être accompagnées.
La Cour de cassation, dans son rapport annuel, souligne d’ailleurs un arrêt de la chambre criminelle, dans lequel il était constaté qu’à l’heure de la décision en cause, prise à la suite des informations transmises par le service enquêteur, « le procureur de la République, non plus que le juge d’instruction, faute de fichier national des mesures de protection juridique consultable par l’autorité judiciaire dans les mêmes conditions que le fichier central du casier judiciaire, ne pouvaient ni vérifier l’existence d’une mesure de protection ni prendre connaissance de l’identité du curateur, le juge des tutelles détenant seul cette information » (Cass. crim., 11 déc. 2018, n° 18-80.872, Bull. crim., n° 210).
La Cour de cassation n’est donc pas opposée à la création d’un tel répertoire, dont elle souligne toutefois qu’il ne dépend nullement de sa compétence, mais relève de celle de la Direction des affaires civiles et du Sceau et du secrétariat général du ministère de la Justice.
Source : Actualités du droit