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Image  J. Jean-Louis CORREA, Agrégé des facultés de droit, Professeur à l’Université Assane Seck de Ziguinchor

L’écriture du droit des obligations au Sénégal

Afrique - Droits nationaux
18/07/2017
Discours de la méthode pour une réforme du droit des obligations au Sénégal.
La codification du droit des obligations entreprise par le législateur sénégalais (L. n° 63-62, 10 juill. 1963, entrée en vigueur le 15 janvier 1967) se voulait une rupture, sur certains points, avec le Code civil français de 1804, en même temps qu’elle nourrissait l’ambition d’une conformité anthropocosmique, sur d’autres points, avec la catégorie obligationnelle, telle qu’envisagée en Afrique noire (Olawale T. E., La nature du droit coutumier africain, Paris, Présence africaine, 1954). Dès lors, l’écriture (on envisage l’écriture ici comme la matérialisation et l’externalisation de la pensée ; v. Bonan J. C., Écrire le droit pour commander, techniques et significations de l’écriture dans quelques droits orientaux, Bruxelles, Bruylant, 1996) du droit des obligations au Sénégal impose de repenser cette discipline à l’aune des conceptions endogènes (Diop C. A., L’unité culturelle de l’Afrique noire, Paris, Présence africaine, 1982), ce qui ne pourra se faire, cependant, sans recourir aux bonnes pratiques de la légistique (Morand Ch. A. (dir.), Légistique formelle et matérielle, PUAM, 1999).
En nous limitant au contrat et à la responsabilité, on questionnera la validité axiologique de l’écriture d’un droit des obligations qui n’est pas entièrement réflexif de ses destinataires. La focale envisagée est celle du constructivisme social (entendu au sens de « construction sociale de la réalité » ; v. Teubner G., Pour une épistémologie constructiviste du droit, Annales, Économies, Sociétés, Civilisations, nov-déc. 1992, n° 6, p. 1149) trépied fondateur d’un discours africain sur le droit des obligations, résultante d’un imaginaire et d’un épistémè (Foucault M., Les mots et les choses, Paris, Gallimard, Tel, 1990 (réédition), 400 p.) singuliers. Mais ce droit enculturé ne doit pas omettre la complexité des phénomènes sociaux (v. Supiot A., La gouvernance par les nombres, Cours au Collège de France, Paris, Fayard, 2015, 512 p. ; Lessig L., Code is Law, on liberty in cyberspace, Harvard Magazine, avril 2000) et la nécessité de recourir à des emprunts vivifiants issus d’autres systèmes juridiques. C’est en prenant en compte ce contexte qu’il sera proposé une réécriture du droit des obligations en utilisant une méthode éprouvée.
 
La réécriture du droit des obligations au Sénégal
Il est nécessaire de sustenter le droit des obligations à une sève nourricière aux ferments philosophiques endogènes féconds sans rejeter les riches apports extérieurs, en signe d’œcuménisme juridique.
 
La réaffirmation des fondements philosophiques du droit des obligations.- Se plaçant dans une perspective africaine, la catégorie contractuelle doit être refondée sur le solidarisme et moins sur le volontarisme contractuel. Dans cette perspective, il serait utile de réaffirmer la dimension institutionnelle du contrat pour renforcer son caractère internormatif. Accorder plus de place aux coutumes et usages africains en matière contractuelle participerait de la réalisation de ces objectifs. S’agissant de la responsabilité civile, la responsabilité des parents du fait de leur enfant mineur, permet de relever le hiatus existant entre la conception occidentale de l’enfant, « propriété » de ses parents, et la conception négro-africaine dans laquelle, l’enfant est la « propriété » de la collectivité. Le Code ne rendant pas compte d’hypothèses sociales fréquentes, telles que le confiage d’enfant. Mais ce constat ne devrait pas occulter la nécessité de trouver des fondements principiels exogènes faisant sens en Afrique.
 
Le syncrétisme des fondements philosophiques.- La réaffirmation des fondements philosophiques africains du droit des obligations (Melone S., Les résistances du droit traditionnel au droit moderne des obligations, Actes du colloque de Dakar, 5-9 juillet 1977, Revue sénégalaise de droit, 1977, p. 47 ; voir aussi pour les règles portant spécifiquement sur la responsabilité civile, Koami-kuma A. T., Aperçu historique, psychosociologique et perspective d’avenir du droit togolais de la responsabilité civile (contribution à une théorie générale du droit de la réparation), th. doc., Faculté de droit et des sciences sociales de l’Université de Poitiers, 1979, p. 24 ; Decottignies R., La résistance du droit africain à la modernisation en matière d’obligations, Revue sénégalaise de droit, 1977, p. 59) n’est pas un enfermement sur soi ou l’expression d’une ipséité juridique exclusive. Elle se veut aussi ouverture sur des catégories qui font sens dans l’imaginaire juridique africain (Sene A., Les structures anthropologiques de l’imaginaire en Afrique noire traditionnelle, thèse de doctorat, Univ. Pierre Mendès France, Grenoble II, 2004). On pourrait ainsi emprunter au droit anglo-américain la technique de la mitigation of damages trouvant ainsi une parade à l’idéologie indemnitaire et à la logique victimaire. Au droit allemand, on empruntera la relativité acquilienne pour limiter l’extension, voire l’explosion, des préjudices réparables et des créanciers d’indemnité. Au droit français, le solidarisme contractuel dans son acception sociale et non moraliste (v. Mekki M., Le contrat entre liberté et solidarité, Conférence au Collège de France, 8 mars 2016)  Ces principes rappelés permettent une réécriture méthodique du droit des obligations respectueuse de la cosmogonie africaine.
 
Une réécriture méthodique
Déclinons en la méthode  pour voir ensuite sa mise en œuvre.
 
La méthode.- La norme obligationnelle doit être ouverte, puiser dans les réalités sociales et aisément adaptable. Il ne serait pas inutile ici de s’inspirer du modèle de conception du Code civil suisse avec la théorie de la « législation populaire » de Eugène Huber. Les lois doivent restées intelligibles parce qu’à destination des citoyens et non des juges. Leur rédaction doit être précédée d’enquêtes sociologiques afin de s’assurer de leur adéquation future aux vœux de leurs destinataires.
Dans un contexte africain, la simplicité, la clarté, et la concision rédactionnelles doivent être les maîtres-mots de toute entreprise d’écriture du droit, en s’abstenant de considérer le Code comme un dictionnaire juridique lieu de toutes les définitions.
La mise en œuvre de cette méthode pourrait aider à une nouvelle rédaction de plusieurs dispositions.
 
La mise en œuvre.- Plusieurs dispositions du Code des obligations civiles et commerciales du Sénégal (COCC) restent inintelligibles. À titre illustratif, l’article 119 du COCC sur la définition de la faute. Les articles 319 (confusion entre le droit de préemption et le pacte de préférence) et 326 (sur la sanction de la violation de la promesse unilatérale de contrat) sur les promesses de contrat, les articles 139 (sur l’existence d’une présomption de responsabilité du fait des choses) et 142 sur la responsabilité (sur l’affirmation d’un principe général de responsabilité du fait d’autrui). Que dire, enfin, de la catégorie des contrats relatifs à la remise d’une chose.
Bien qu’illustrative, cette liste symbolise, les limites d’une codification à droit constant, à bien des égards. Une action dans le sens axiologique et légistique renforcerait la compréhension et l’acceptation de ces dispositions et de bien d’autres encore.
 
Source : Actualités du droit